The passage on the comma (virgule) appears on p. 114-116 in the original Gallimard, 2006 edition:
La mort de Pierre Arthens flétrit mes camélias.
J'ouvre l'enveloppe et je lis ce petit mot inscrit au dos d'une carte de visite si glacée que l'encre, triomphant de buvards consternés, a bavé légèrement sous chaque lettre.
Madame Michel,
Pourriez-vous, réceptionner les paquets du pressing
cet après-midi?
Je passerai les prendre à votre loge ce soir.
Par avance merci,
Signature griffonnée
Je ne m'attendais pas à une telle sournoiserie dans l'attaque. De saisissement, je me laisse tomber sur la chaise la plus proche. Je me demande d'ailleurs si je ne suis pas un peu folle. Est-ce que ça vous fait le même effet, à vous, quand ça vous arrive?
Tenez:
Le chat dort.
La lecture de cette petite phrase anodine n'a éveillé en vous aucun sentiment de douleur, aucun flamboiement de souffrance? C'est légitime.
Maintenant:
Le chat, dort.
Je répète, pour qu'aucune ambiguïté ne demeure:
Le chat virgule dort.
Le chat, dort.
Pourriez-vous, réceptionner.
D'un côté, nous avons ce prodigieux usage de la virgule qui, prenant des libertés avec la langue parce que d'ordinaire on n'en place point avant une conjonction de coordination, en magnifie la forme:
M'a-t-on fait assez de reproches, et pour la guerre, et pour la paix ...
Et de l'autre, nous avons les bavouilleries sur vélin de Sabine Pallières transperçant la phrase d'une virgule devenue poignard.
Pourriez-vous, réceptionner les paquets de pressing?
Sabine Pallières eût-elle été une bonne portugaise née sous un figuier de Faro, une concierge fraîchement émigrée de Puteaux ou bien une déficiente mentale tolérée par sa charitable famille que j'aurais pu pardonner de bon cœur cette nonchalance coupable. Mais Sabine Pallières est une riche. Sabine Pallières est la femme d'un grande ponte de l'industrie d'armement, Sabine Pallières est la mère d'un crétin en duffle-coat vert sapin qui, après ses deux khâgnes et Sciences-Po, ira probablement diffuser la médiocrité de ses petites pensées dans un cabinet ministériel de droite, et Sabine Pallières est en sus la fille d'une garce en manteau de fourrure qui fait partie du comité de lecture d'une très grande maison d'édition et est si harnachée de bijoux que, certaines fois, je guette l'affaissement.
Pour toutes ces raisons, Sabine Pallières est inexcusable. Les faveurs du sort ont un prix. Pour qui bénéficie des indulgences de la vie, l'obligation de rigueur dans la considération de la beauté n'est pas négociable. La langue, cette richesse de l'homme, et ses usages, cette élaboration de la communauté sociale, sont des œuvres sacrées. Qu'elles évoluent avec le temps, se transforment, s'oublient et renaissent tandis que, parfois, leur transgression devient la source d'une plus grande fécundité, ne charge rien au fait que pour prendre avec elles ce droit de jeu et du changement, il faut au préalable leur avoir déclaré plein sujétion. Les élus de la société, ceux que la destinée excepte de ces servitudes qui sont le lot de l'homme pauvre, ont partant cette double mission d'adorer et de respecter la splendeur de la langue. Enfin, qu'une Sabine Pallières mésuse de la ponctuation est un blasphème d'autant plus grave que dans le même temps, des poètes merveilleux nés dans des caravanes puantes ou des cités poubelles ont pour elle cette sainte révérence qui est due à la Beauté.
Aux riches, le devoir du Beau. Sinon, ils méritent de mourir.
C'est à ce point précis de mes réflexions indignées que quelqu'un sonne à la loge.